La question de savoir si la « femme revêtue du soleil » dans Apocalypse 12 représente Marie, la mère de Jésus, intrigue depuis longtemps les chercheurs et les théologiens, en particulier dans la tradition catholique, qui l’identifie souvent comme Marie, la Mère de Dieu. Cette interprétation n’est cependant pas sans complexité, car le texte permet de multiples lectures : la femme comme Marie, comme Israël ou l’Église, ou comme un hybride de ces identités. Apocalypse 12:1-2 décrit une figure céleste – une femme ornée du soleil, de la lune et d’une couronne de douze étoiles, en train d’accoucher d’un fils qui « gouvernera toutes les nations avec une verge de fer » (Apocalypse 12:5), une référence claire à Jésus, le Messie, en lien avec le Psaume 2:7-9. Cet essai explore les preuves textuelles, la richesse symbolique d’Apocalypse 12 et les implications théologiques de l’identification de la femme à Marie, à Israël, à l’Église ou à une combinaison des trois, tout en évaluant de manière critique la viabilité de chaque interprétation et en plaidant pour une compréhension nuancée qui jette un pont entre les perspectives catholiques et protestantes.
(Cet article est un résumé de l’un des chapitres de mon livre The Jewish Roots of Mary : Un regard différent sur l’icône de la femme hébraïque)
La femme d’Apocalypse 12 : une mère messianique
Apocalypse 12 présente une vision apocalyptique saisissante : « Une femme était vêtue du soleil, la lune était sous ses pieds et elle avait sur la tête une couronne de douze étoiles. Elle était enceinte et elle criait, étant en travail et souffrant pour accoucher » (Apocalypse 12:1-2). L’identité de son enfant est sans ambiguïté, puisque le verset 5 déclare : « Elle enfanta un fils, un mâle, qui dominera toutes les nations avec une verge de fer », faisant écho au Psaume 2:9, qui est appliqué à Jésus dans Actes 13:32-33 et Apocalypse 19:15. L’identité messianique de l’enfant est encore renforcée par la tentative du dragon de le dévorer (Apocalypse 12:4), symbolisant l’opposition de Satan au Christ, et par l’ascension de l’enfant sur le trône de Dieu (Apocalypse 12:5), indiquant l’exaltation de Jésus. La femme est donc la mère du Messie, mais son identité précise – Marie, Israël, l’Église ou un composé – nécessite un examen attentif.
Le langage symbolique du texte complique une identification directe. L’image céleste de la femme – vêtue du soleil, debout sur la lune, couronnée de douze étoiles – suggère une entité cosmique ou collective, mais la spécificité de son accouchement de Jésus invite à une interprétation personnelle. Le récit se poursuit avec la fuite de la femme dans le désert pendant 1 260 jours (Apocalypse 12:6), ce qui équivaut à 42 mois ou « un temps, des temps et la moitié d’un temps » (Apocalypse 12:14), périodes qui s’alignent sur d’autres références à la persécution dans Apocalypse 11:2-3 et 13:5. Ce cadre temporel, qui équivaut à trois ans et demi, symbolise probablement une période d’épreuve pour le peuple de Dieu, suggérant une identité collective plutôt qu’individuelle. Cependant, le rôle de la femme en tant que mère de Jésus et cible de la colère du dragon (Apocalypse 12,17) ouvre la porte à une interprétation mariale.
La femme comme Marie
Les arguments en faveur de l’identification de la femme à Marie reposent sur son rôle de mère littérale de Jésus, tel qu’il est décrit dans les Évangiles. Luc 1,26-28 dépeint Marie comme la « préférée » choisie pour porter le Messie, un rôle qui s’aligne sur l’acte de la femme donnant naissance à l’enfant messianique dans Apocalypse 12,5. La tradition catholique, qui vénère Marie en tant que Theotokos (Mère de Dieu), la considère comme une candidate naturelle pour cette figure céleste. L’imagerie du soleil, de la lune et des étoiles peut élever Marie à un statut de reine, en accord avec les doctrines catholiques telles que l’Assomption et son rôle de Reine du Ciel. En outre, la poursuite de la femme par le dragon est parallèle à la tentative d’Hérode de tuer l’enfant Jésus (Matthieu 2:7-16), la fuite en Égypte (Matthieu 2:13-15) ressemblant à la fuite de la femme dans le désert (Apocalypse 12:6). La référence au « reste de ses enfants » dans Apocalypse 12:17, qui « gardent les commandements de Dieu et s’attachent au témoignage de Jésus », pourrait être interprétée comme étant les chrétiens, avec Marie comme mère spirituelle, un concept enraciné dans Jean 19:26-27, où Jésus confie le disciple bien-aimé à Marie en premier lieu.
La spécificité d’autres personnages de l’Apocalypse renforce ce point de vue. Le dragon est explicitement Satan (Apocalypse 12:9), et l’enfant est Jésus, ce qui suggère que la femme pourrait également être un individu – Marie – plutôt qu’une entité collective. Cependant, la nature symbolique de l’Apocalypse, où les nombres et les images ont souvent un poids allégorique, met en garde contre une lecture purement littérale. Les 1 260 jours du séjour de la femme dans le désert ne correspondent pas exactement à la durée de la fuite historique de Marie en Égypte, que l’Évangile de Matthieu ne quantifie pas. De plus, l’imagerie cosmique – le soleil, la lune et les douze étoiles – tend vers une interprétation collective ou symbolique, ce qui remet en question une lecture uniquement mariale.
La femme comme Israël ou l’Église
Une autre interprétation identifie la femme à Israël ou à l’Église, les entités corporatives d’où émerge le Messie. L’Ancien Testament personnifie fréquemment Israël comme une femme ou une mère. Par exemple, Deutéronome 18:18 promet un prophète issu d’Israël, ce qui implique que la nation « donne naissance » au Messie. Paul renforce cette idée dans Romains 9:1-5, déclarant que le Messie vient d’Israël, à qui appartiennent « l’adoption, la gloire, les alliances, le don de la loi, le service du temple et les promesses » Dans Galates 4:26, Paul décrit la « Jérusalem d’en haut » comme « notre mère », reliant ainsi de manière allégorique la cité céleste au peuple de Dieu. Les douze étoiles d’Apocalypse 12:1 pourraient symboliser les douze tribus d’Israël, ce qui corrobore cette interprétation.
Si la femme d’Apocalypse 12 symbolise Israël, ses douleurs d’accouchement et l’attaque du dragon correspondent aux luttes d’Israël dans Genèse 37. Joseph, un fils d’Israël (Jacob), a dû faire face à la trahison, comme l’enfant mâle (Ap 12.5) menacé par le dragon. La fuite de la femme (Ap 12,6) fait écho aux exils historiques d’Israël. Tout comme la souffrance de Joseph a conduit au salut (Gn 50,20), les épreuves d’Israël culminent dans la victoire du Messie. Les douze étoiles (Ap 12,1) reflètent les douze fils de Jacob, liant l’histoire d’Israël à la rédemption cosmique. Ainsi, Genèse 37 préfigure Apocalypse 12 : tous deux décrivent la persécution d’Israël et la délivrance de Dieu.
L’Église, en tant qu’Israël nouveau/renouvelé, est un autre candidat plausible. Apocalypse 12:17 décrit les « autres enfants » de la femme comme ceux qui « s’attachent au témoignage de Jésus », ce qui correspond à l’identité de l’Église en tant que communauté de croyants. La période du désert de 1 260 jours reflète la persécution à laquelle le peuple de Dieu est confronté dans Apocalypse 11:2-3 et 13:5, suggérant une expérience collective d’épreuve et de protection divine. L’imagerie de l’Ancien Testament présentant Israël comme une femme en travail (par exemple, Isaïe 26:17-18, Michée 4:10) soutient en outre une interprétation collective, la femme représentant la communauté de l’alliance qui produit le Messie.
Cette interprétation, qu’elle se réfère à Israël ou à l’Église, véhicule essentiellement la même idée. La confusion vient du fait que l’on pense que l’Église est née à la Pentecôte et non qu’elle a fait sa bat mitzva à ce moment-là (arrivée à l’âge de la maturité). Un texte clé à retenir est la mention de « l’Église dans le désert » dans Actes 7:38.
La femme comme hybride : Marie et Israël/Église
Une troisième option interprétative postule que la femme est une figure hybride, englobant à la fois Marie et Israël ou l’Église. Ce point de vue réconcilie les dimensions personnelle et collective du texte. En tant que femme israélite, Marie incarne le reste fidèle d’Israël, choisi pour porter le Messie. Les douze étoiles pourraient représenter à la fois les douze tribus et les douze apôtres, faisant le lien entre l’ancienne et la nouvelle alliance. La fuite dans le désert pourrait refléter la fuite historique de Marie en Égypte (Matthieu 2:13-15) tout en symbolisant la persécution plus large du peuple de Dieu, comme le montrent les références temporelles à 1 260 jours ou trois ans et demi. La poursuite par le dragon de la femme et de ses autres enfants (Apocalypse 12:17) pourrait signifier à la fois l’opposition historique de Satan à Jésus par l’intermédiaire d’Hérode et son hostilité permanente à l’égard de l’Église.
Cette interprétation hybride trouve un soutien dans le symbolisme stratifié du récit. L’Apocalypse mêle souvent des éléments historiques et eschatologiques, comme le montre sa représentation de Jésus à la fois comme l’Agneau immolé et comme le cavalier conquérant (Apocalypse 5:6, 19:11-15). De même, la femme pourrait représenter Marie en tant que mère historique de Jésus et Israël/Église en tant que mère collective du Messie et de ses disciples. La tradition catholique penche en faveur de ce point de vue, soulignant le rôle unique de Marie tout en reconnaissant son lien avec la communauté plus large de l’alliance. Par exemple, Lumen Gentium (1964)du Concile Vatican II décrit Marie comme un type de l’Église, reflétant à la fois sa signification individuelle et son rôle au sein du peuple de Dieu.
Évaluation critique
Les preuves permettant d’identifier la femme d’Apocalypse 12 comme étant Marie sont convaincantes, mais non concluantes. La référence explicite à l’accouchement du Messie correspond au rôle historique de Marie, et la tradition catholique qui la vénère comme Mère de Dieu soutient une interprétation mariale. Le parallèle avec Matthieu 2, où Marie s’enfuit en Égypte pour échapper au massacre d’Hérode, renforce cette interprétation, tout comme la désignation de ses « autres enfants » comme étant des croyants en Jésus (Apocalypse 12:17). Cependant, l’imagerie cosmique – le soleil, la lune et les douze étoiles – renvoie à une entité collective comme Israël ou l’Église, enracinée dans le symbolisme de l’Ancien Testament. Les références temporelles aux 1 260 jours suggèrent une période de persécution pour le peuple de Dieu, ce qui correspond mieux à une interprétation collective qu’à un récit littéral de la vie de Marie.
L’interprétation hybride offre une approche équilibrée, reconnaissant le rôle unique de Marie en tant que mère de Jésus tout en la situant dans le récit plus large d’Israël et de l’Église. Ce point de vue évite de réduire la femme à une identité unique et embrasse la nature polyvalente de la littérature apocalyptique. Cependant, elle se heurte au défi de l’ambiguïté, car l’Apocalypse ne nomme pas explicitement Marie, contrairement à l’identification claire du dragon comme étant Satan ou de l’enfant comme étant Jésus. L’absence de référence directe à Marie, combinée à la forte dépendance du texte à l’égard de l’imagerie de l’Ancien Testament, suggère que l’accent principal est peut-être mis sur Israël ou l’Église, Marie n’étant qu’une figure secondaire ou symbolique.
La question méthodologique réside dans la tension entre les lectures historiques et allégoriques. Les interprètes catholiques, s’appuyant sur une tradition qui exalte Marie, peuvent donner la priorité à son rôle individuel, tandis que les érudits protestants favorisent souvent une interprétation collective pour éviter d’élever Marie au-delà de ce que le texte soutient explicitement. Le point de vue hybride comble ce fossé, en reconnaissant l’importance de Marie sans nier la dimension collective. Cependant, l’absence de preuves textuelles définitives signifie qu’aucune interprétation unique ne peut être affirmée de manière dogmatique.
Implications pour le dialogue entre catholiques et protestants
La question de l’identité de la femme dans Apocalypse 12 a des implications qui vont au-delà de l’exégèse et touchent aux tensions entre catholiques et protestants sur le rôle de Marie. La théologie catholique, qui met l’accent sur Marie en tant que médiatrice et reine du ciel, trouve dans Apocalypse 12 une base scripturale pour sa vénération. Les traditions protestantes, méfiantes à l’égard de ce qu’elles perçoivent comme une dévotion mariale excessive, interprètent souvent la femme comme Israël ou l’Église afin de maintenir l’accent sur le Christ. L’interprétation hybride offre une voie vers une compréhension mutuelle, reconnaissant le rôle unique de Marie en tant que mère de Jésus tout en affirmant la communauté plus large de l’alliance. Cette approche incite les protestants à reconsidérer les caricatures de la mariologie catholique comme non bibliques et invite les catholiques à apprécier les dimensions communautaires de l’imagerie de l’Apocalypse.
Conclusion
Il existe des arguments convaincants en faveur de Marie, d’Israël, de l’Église, ou d’une combinaison de ces éléments comme étant la femme d’Apocalypse 12. Marie est probablement un accomplissement partiel, mais la vision englobe probablement Israël, Marie et l’Église dans une typologie à plusieurs niveaux. La référence du texte à la mère du Messie, combinée aux parallèles avec la fuite de Marie en Égypte et sa maternité spirituelle dans Jean 19:26-27, soutient une interprétation mariale, en particulier dans la théologie catholique. Cependant, l’imagerie cosmique et les références temporelles s’alignent étroitement sur Israël ou l’Église en tant que communauté de l’alliance subissant la persécution. La vision hybride, qui voit dans la femme à la fois Marie et Israël/Église, est celle qui rend le mieux compte du symbolisme stratifié du texte, reflétant le mélange de thèmes historiques et eschatologiques de l’Apocalypse. Bien que l’évidence ne permette pas une certitude dogmatique, la discussion favorise une appréciation plus profonde du rôle de Marie dans le récit plus large du peuple de Dieu, encourageant les lecteurs catholiques et protestants à aborder le texte avec humilité et ouverture à diverses interprétations. Pour voir les autres articles de cette série, cliquez ici.
